EDITORIAL

LA CELEBRATION CANADIENNE
DU 400e ANNIVERSAIRE DE GROTIUS

par Jan Lobelle

 

Les anniversaires des hommes et des femmes qui ont façonné notre civilisation donnent d 'heureuses occasions pour célébrer leurs héritages, lesquels font partie du patrimoine de leurs concitoyens et souvent aussi de tous les humains de cette planète. N'avons-nous pas, en ce début de l'année 1985, la joie d'entendre partout la double célébration des anniversaires de Haendel et de J.-S. Bach; orchestres classiques et ensembles musicaux plus modernes ont souligné leur permanence et leur grande jeunesse.

Dans ce numéro spécial de notre revue, nous ferons état de la célébration à Montréal, en septembre 1983, du 400e anniversaire de la naissance de HUGO GROTIUS. Si cette célébration n'a pas eu le même écho sur les ondes de la radio, les nombreuses études, colloques et publications parlent de l'universalité et de la pertinence actuelle des idées et des concepts de l'auteur de Mare Liberum, ce qu'on peut traduire par L'onde libérée" ou "La mer pour tous".

Aux Pays-Bas, comme il se doit, on se rappela d'HUYG DE GROOT avec fierté et piété dans sa ville natale de Delft, dans les universités et les associations juridiques. Parmi celles-ci, il y a l'illustre Institut T.M.C. Asser qui organisa, entre autres, une journée d'études avec les juges de la Cour internationale de la Haye. Cet Institut a aussi permis à l'Université de Montréal et à l'Université McGill d'accueillir en mars 1983 le Dr. Feenstra, professeur d'histoire à Leyden et ainsi de debuter à Montréal "l'année Hugo Grotius.

L'Institut Grotius (Prins Willem Alexanderhof 5, 2595 Den Haag) qui assure la publication de la revue Grotiana mentionne des manifestations qui ont eu lieu à l'Institut néerlandais à Paris, à l'Université St-Andrews en Ecosse et à l'Institut Henri Dunant à Genève.

Les Nations-Unies, qui ont inauguré dans leurs quartiers généraux à New York un buste de Grotius ont consacré au juriste hollandais plusieurs activités, dont une proclamation de son Secrétaire général que nous publions dans ce volume.

Dans l'Etat du Connecticut, qui a fêté en 1983 le 350e anniversaire de sa fondation par des Hollandais, un comité spécial préparait l'anniversaire de Grotius depuis 1980 par une série de manifestations savantes, telle qu'un colloque sur "le minage du fond des mers et la liberté des mers.

L'idée de consacrer à Hugo Grotius le deuxième colloque d'études néerlandaises de la section montréalaise de l'Acaen est venue du Baron Diederik Speyart van Woerden, à ce moment consul général des Pays-Bas dans notre ville et membre d'honneur de notre association. Fidèles à notre orientation multidisciplinaire, nous avons décidé de présenter au public montréalais non seulement l'oeuvre très variée de Hugo Grotius, mais aussi l'ambiance intellectuelle et culturelle des Pays-Bas de son temps.

La variété et la richesse des apports qui résultèrent de l'invitation lancés aux spécialistes de plusieurs disciplines universitaires nous permettent de croire que ce colloque est devenu la participation officieuse - et même officielle, grâce à la présence très active d'un représentant du plus haut tribunal du monde, le juge Maxwell Cohen - du Canada aux célébrations mondiales de l'anniversaire du père du droit international.

Dans une introduction Peter Lowensteyn situe Hugo Grotius dans l'époque si riche en événements pour l'Europe et en changements politiques, économiques et sociaux pour les Pays-Bas. Telles que les Provinces-Unies au XVIIe siècle, les pays du Tiers Monde connaissent des développements qui peuvent bousculer et remettre en question des idées reçues; Daniel Turp nous le rappelle dans son étude de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, signée récemment, et des concepts de Grotius dans Mare Liberum.

Hugo Grotius, le père du droit international, s'est également penché sur le droit civil et naturel. Peter Benson propose une analyse de l'héritage grotien dans le domaine du droit naturel du contrat et des responsabilités contractuelles.

Les deux contributions qui suivent, celles de Claude Sutto, historien des religions et Ralph Nelson, historien des sciences politiques, témoignent de la personnalité renaissance. de Grotius: nous l'y découvrons grand humaniste soucieux de l'harmonie entre les peuples et de la paix entre leurs princes, doué d'une ferveur religieuse mais aussi d'un grand réalisme politique.

C'est avec un historien des philosophies que nous entamons dans une deuxième partie de ce volume un tableau de quelques contemporains de Hugo Grotius William Shea nous décrit les activités de Descartes dans le pays de liberté et de tolérance religieuse qu'étaient les Provinces-Unies. Est-ce que Jan Amos Comenius le père de la pédagogie moderne, a rencontré ou correspondu avec le père du droit international? En cherchant une réponse à cette question, Jean Caravolas nous fait découvrir cet autre grand humaniste qui, comme Descartes, avait trouvé refuge dans les Pays-Bas.

Le XVIIe siècle est pour les Pays-Bas, alors appelés les Provinces-Unies, le siècle d'or, car l'expansion économique du jeune paya a été accompagnée par une grande activité artistique chez les peintres autant que chez les écrivains.1

Ce tableau du XVIIe siècle hollandais serait bien incomplet sans une référence à l'oeuvre des peintres qui nous ont laissé tant de chefs-d'oeuvre et de témoignages de la vie spirituelle et culturelle de cette époque. Historien de l'art, Warren Sanderson a cherché comment les progrès dans les sciences exactes et la technologie ont marqué l'activité des peintres contemporains de Hugo Grotius.

Une troisième partie propose des réflexions sur l'héritage spirituel de Hugo Grotius. En réfléchissant sur la réaction de celui-ci devant la violence des guerres, celles des armes et des hommes, l'auteur de l'article suivant soulève le problème d'une guerre nucléaire d'où ne sortiraient ni vainqueurs ni vaincus et il se pose des questions sur le silence à ce sujet des juristes de droit international. Ancien doyen et professeur émérite de la faculté de droit de l'Université McGill et juge ad-hoc à la Cour Internationale de Justice à La Haye, Maxwell Cohen offre une judicieuse analyse de ce problème et souhaite que la sagesse juridique de Hugo Grotius continue à éclairer les esprits responsables contemporains.

Ce même appel à la sagesse grotienne inspire le message du Secrétaire général des Nations-Unies que nous publions comme conclusion à cet hommage à l'auteur de De Jure Belli ac Pacis.

Jan Lobelle
Université McGill

 

1. Augustinus Dierick a analysé l'élément baroque de la littérature hollandaise de cette époque et l'a comparé avec les périodes baroques des astres pays européens dans le numéro du printemps 1981 (II, ii) de notre revue.